Posted on 07/10/2024
Gabrielle Sexton accueille tous les clients de son bar à espresso et à desserts Petites Gamines, au centre-ville de Gatineau, en français. Dans le commerce, tout l’affichage est unilingue francophone. Et pourtant, elle a reçu un avis d’une plainte de l’Office québécois de la langue française (OQLF).
«S’il faut que je ferme, je vais le faire»: une plainte à l’OQLF passe mal
Gabrielle Sexton accueille tous les clients de son bar à espresso et à desserts Petites Gamines, au centre-ville de Gatineau, en français. Dans le commerce, tout l’affichage est unilingue francophone. Et pourtant, elle a reçu un avis d’une plainte de l’Office québécois de la langue française (OQLF).
Parce que c’est l’un des comptes de médias sociaux de l’entreprise du Vieux-Hull qui pose problème, selon l’institution publique.
«C’est du gros n’importe quoi», a soutenu la propriétaire de l’endroit, lorsque Le Droit est allé à sa rencontre, mercredi.
Dans la lettre envoyée à Mme Sexton, que la propriétaire a sans hésiter publiée sur la page Instagram de son entreprise, on fait état d’une plainte concernant les publications unilingues anglophones qui sont effectuées sur le profil d’entreprise sur Instagram de Petites Gamines.
Dans sa missive qui sert de «premier avertissement pour se conformer à la loi», l’OQLF soutient avoir reçu une plainte en lien avec les publications de nature commerciale de l’entreprise qui est uniquement dans la langue de Shakespeare, ce qui est contraire à la loi actuelle. L’Office cite l’article 52 de la Charte de la langue française.
Quel qu’en soit le support, les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, les bons de commande et tout autre document de même nature qui sont disponibles au public doivent être rédigés en français.
Nul ne peut rendre un tel document disponible au public dans une autre langue que le français lorsque sa version française n’est pas accessible dans des conditions au moins aussi favorables.
— Article 52 de la Charte de la langue française
«Quand j’ai reçu ça, je n’en revenais pas, a ajouté Mme Sexton. L’article est très vague. Ça peut être interprété de plein de façons», a-t-elle soutenu.
«Conditions aussi favorables au français»
L’OQLF a précisé dans la lettre qu’il est possible pour Mme Sexton de rédiger du texte de nature commerciale dans une autre langue que le français, «pourvu que la version française soit accessible dans des conditions au moins aussi favorables.»
Déjà, Gabrielle Sexton martèle que son commerce, situé rue Laval, est francophone. «Non seulement tout est en français, mais il n’y a rien en anglais.»
Mais elle soutient également que les publications de la page Facebook de Petites Gamines sont francophones. Avec un nombre d’abonnés similaire sur Facebook, à quelques centaines près, au nombre d’abonnés sur Instagram, elle juge que les réseaux sociaux de Petites Gamines offrent des conditions aussi favorables aux publications francophones, comme le requiert l’Office.
«On fait tout ce qu’on est supposé faire, et au-delà, croit-elle. Oui, la langue française c’est important, mais de là à faire perdre du temps à nous, à des avocats, à l’OQLF, sachant que tout le reste de l’entreprise est en français. Pour vrai, Instagram ce n’est pas vraiment de leurs affaires, peste-t-elle. C’est là que je trace la ligne et que je trouve ça ridicule. Ce n’est pas de la propagande, ce n’est pas des fausses informations, ce n’est pas du discours haineux. Ça va être quoi après? Ça crée un précédent vraiment pénible, selon moi.»
Mauvaise cible?
Gabrielle Sexton explique mal qu’on semble donner du fil à retordre aux petites entreprises qui font de leur mieux avec les moyens du bord et des entrepreneurs qui doivent portent plusieurs chapeaux, croit-elle. «Je gère tout. Je n’ai pas de temps à perdre avec ces niaiseries-là.»
D’autant plus que la fonction «traduction» sur les réseaux sociaux permet de traduire n’importe quelle publication dans la langue de son choix, permettant que les publications ne deviennent pas interminables et allègent la tâche aux petits commerces qui manquent souvent de ressources, ajoute la propriétaire.
«On tient par un fil après la COVID et le gouvernement nous met des bâtons dans les roues pour si peu, c’est lourd.»
— Gabrielle Sexton, propriétaire de Petites Gamines
Dans le Vieux-Hull, d’autres entreprises gèrent leurs réseaux sociaux de la même façon, note-t-elle, parce que c’est ce qui semble fonctionner pour elles et leur permettre de tirer leur épingle du jeu.
«Est-ce que l’OQLF va commencer à réprimander tout le monde pour si peu? [Un autre commerce du Vieux-Hull] fait sa publicité en anglais sur TikTok, parce que ça pogne plus sur cette plateforme-là. Et elle est vraiment bonne. Est-ce qu’elle va se faire ramasser parce qu’elle veut simplement promouvoir son commerce de la meilleure façon possible, en faisant ce qui marche pour rejoindre son public cible? On s’acharne pour rien.»
Amendes?
Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes ont tenu à démontrer leur soutien à Mme Sexton et à son entreprise jugeant également, à en lire plusieurs commentaires, la réprimande sévère. «C’est validant de voir qu’il n’y a pas que nous qui trouvons ça démesuré.»
Par courriel, l’OQLF soutient que l’article 52 de la Charte concerne aussi les publications de nature commerciales diffusées sur un site Web et sur les médias sociaux. «L’Office a reçu une plainte au sujet de la langue du compte Instagram de l’entreprise Petites Gamines. C’est dans le cadre du traitement de cette plainte qu’une lettre d’avertissement a été envoyée à l’entreprise», explique-t-on, puisqu’il s’agissait d’une première plainte. «À la demande de l’entreprise, l’Office l’a informé des étapes de traitement d’un dossier de plainte.»
L’OQLF précise toutefois que ce dossier précis est désormais fermé.
Néanmoins, en cas de non-conformité et de réception de nouvelles plaintes dans un dossier, ce dernier peut se retrouver devant le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), même s’il s’agit d’une mesure rarissime. Moins de 1 % des dossiers de plaintes à l’OQLF font l’objet d’une transmission au DPCP chaque année.
«Si, à la suite des démarches entreprises, la personne ou l’organisation présumée autrice du manquement refuse d’apporter les corrections requises, l’Office lui notifie un préavis d’ordonnance, puis une ordonnance. Lorsque la notification d’une ordonnance reste sans effet, l’Office transmet le dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales [DPCP]», indique-t-on.
C’est ensuite au DPCP de décider s’il entend entamer une poursuite relative à la Charte et ce sont les tribunaux qui ont le pouvoir d’imposer des amendes.
Mais Gabrielle Sexton ne compte pas en finir là. «S’il faut que je ferme mon commerce pour aller au batte avec ça, comme on dit, je suis prête. Je vais le faire.»
Jeudi, les publications Instagram de Petites Gamines étaient rédigées en allemand.