Posted on 25/09/2024
Aménagement d’un nouveau laboratoire en physique et biologie, nouveau système de notification et de sécurité pour le contrôle des accès au campus ou remplacement d’équipement tel que des microscopes: le Cégep de l’Outaouais pourrait bien être forcé de mettre sur la glace une liste de projets si la consigne de Québec de sabrer dans les budgets d’investissements demeure intacte.
Discret depuis que la nouvelle est sortie au sujet de cette directive du ministère de l’Enseignement supérieur (MES) envoyée au réseau collégial, le directeur général, Steve Brabant, a admis cette semaine qu’on s’attend à un sérieux casse-tête si la consigne demeure en place, même s’il dit «comprendre le contexte budgétaire dans lequel le gouvernement se trouve».
«On est solidaires et collaborateurs là-dedans pour la recherche de solutions, par contre recevoir cette directive en pleine période estivale, plusieurs mois après l’adoption légitime de notre budget d’investissement par notre conseil [d’administration] vient soulever des questions, des préoccupations, explique-t-il. Et à ce moment-ci, il y a encore beaucoup d’incertitude qui plane, à savoir quel genre de marge de manœuvre on va bénéficier cette année.»
Alors que cette année doit en être une «transitoire», le MES a, rappelons-le, précisé que les budgets d’investissements de l’établissement — à ne pas confondre avec les budgets de fonctionnement ― devront être réduits de plus de la moitié (54 %) en 2025-2026 et 2026-2027. C’est ce qu’une note de service du Cégep stipulait le 4 septembre.
M. Brabant affirme qu’on a déjà un meilleur portrait de la situation à court et moyen terme puisqu’on a informé l’institution que le budget d’investissement de cette année, qui devait s’élever à près de 11 millions de dollars, devra être retranché de plus de 75 % (2,5 millions). Une telle coupure aura des impacts tangibles, avertit-il.
«C’est sûr que ça va nous empêcher de réaliser plusieurs projets, c’est une règle qui est incompatible avec la réalité d’un établissement collégial ou même universitaire. On ne parle pas du budget pour de grands agrandissements, on parle du fonctionnement régulier pour le maintien des actifs, la rénovation, l’acquisition d’équipements y compris pédagogiques, des espaces d’apprentissage, etc.», décrit-il.
Pour imager la situation, le directeur général cite deux exemples de projets qui pourraient bien être mis sur pause, puisque lorsqu’on additionne leur coût, on en arrive à une somme de 2,2 millions de dollars, soit presque le niveau d’investissement maximal imposé.
Il s’agit de l’aménagement d’un nouveau laboratoire en physique et biologie (1 million) afin d’être conforme au devis ministériel, un projet pour lequel on devait éventuellement lancer un appel d’offres mais qui n’implique toujours aucun contrat; de même que le remplacement d’un système de notification et de sécurité (1,2 million) sur les campus, pour lequel certaines dépenses ont déjà été engagées.
C’est sans compter deux factures reliées au système de ventilation et de climatisation de l’établissement, qui totalisent 610 000 dollars et qui, pour l’instant, ne sont pas réglées.
«Quand on cumule toutes ces choses-là, petites, moyennes et grandes, on dépasse largement les 2,5 millions de dollars pour un établissement qui dessert, au total, avec la formation continue, plus de 6000 étudiants.»
— Steve Brabant, directeur général du Cégep de l'Outaouais
Or, des dizaines d’autres besoins importants sont sur la liste, rappelle Steve Brabant.
«Ça veut dire que le remplacement de microscopes, le remplacement de moniteurs, le remplacement d’un compresseur médical, le remplacement d’un système de captation pour pouvoir faire des simulations en néonatalogie, par exemple, on ne peut pas les remplacer même s’ils brisent, explique-t-il. On espère qu’il y aura un processus de demande de dérogation, mais on ajoute à cela des délais, ce qui veut dire des ruptures de service, des demandes, des délais, des autorisations, une commande et une livraison. Combien de mois vont s’être écoulés entre les points A et B?»
À son avis, s’il faut aller dans cette direction, le tout soulève des préoccupations qui, ultimement, «pourraient miner de manière importante les programmes et la mission du Cégep, seule institution collégiale publique francophone en Outaouais.»
Le directeur général, qui dit ignorer les justifications derrière cette directive du MES qui a beaucoup fait réagir ces derniers jours partout en province, pense avec le recul qu’une telle consigne aurait mérité un préavis et une consultation en amont afin de «peut-être mieux évaluer les conséquences».
Conscient que la mesure «soulève le réseau», tout en ajoutant que certains acteurs y vont de retenue tandis que d’autres s’affirment plus, il soutient malgré tout qu’à cette étape-ci la confiance du ministère est importante pour bien naviguer avec la suite et trouver «des pistes de solution».
«C’est peut-être d’ajuster ou de moduler une règle comme celle-là en tenant compte des réalités, des besoins d’une région comme celle de l’Outaouais dans laquelle il y a tout un rattrapage à faire en terme de programmation et d’infrastructures», dit-il.
Steve Brabant pense que le dialogue est toujours ouvert et a bon espoir que les instances gouvernementales comprendront les répercussions potentielles dans une région avec d’aussi grandes particularités.
Plaidant que des projets suspendus dès maintenant auront un effet domino sur les budgets subséquents, ce dernier confirme avoir interpellé la caucus caquiste en Outaouais pour les sensibiliser aux impacts afin qu’il puisse faire les représentations nécessaires auprès de leurs collègues.
Si le Cégep confirme que son projet de 33 millions de dollars pour l’agrandissement du campus Gabrielle-Roy avec une nouvelle aile de deux étages dédiée à l’imagerie médicale et à l’informatique continue d’aller de l’avant ― le soumissionnaire retenu pour la construction devrait être annoncé d’ici octobre et le début des travaux suivra ―, il en va autrement pour les autres projets d’infrastructures qui n’ont pas encore été acceptés.
«On sent qu’il y a un étau qui se resserre, effectivement, mais on a encore confiance que les projets essentiels pour l’Outaouais vont voir le jour et qu’on verra le statut particulier prendre sa forme, se transformer en action, pour combler les besoins de notre région», termine-t-il.
Interrogé cette semaine, le ministre responsable de l’Outaouais, Mathieu Lacombe, n’a pas caché un certain malaise et un questionnement par rapport à ce que la mesure pourrait avoir comme conséquence concrète dans la région.
Sur la défensive, il a cependant tenu à dire qu’aucune coupe n’est prévue cette année car les sommes octroyées lors du dernier budget et les crédits votés par les parlementaires demeurent inchangés, plaidant qu’il est «inexact» de dire que des budgets sont coupés dès cet automne.
«Maintenant, il y a beaucoup de choses qui se disent, alors comme ministre responsable de la région, j’ai posé des questions à mes collègues qui sont responsables de ce dossier-là, autant aux Infrastructures qu’à l’Enseignement supérieur [Jonatan Julien et Pascale Déry] parce que tout ça me semble particulier, j’attends des réponses. Mais je pense que c’est plus complexe que ça en a l’air», explique-t-il.
Selon lui, la conséquence «n’est peut-être pas exactement celle que l’on lit actuellement dans les médias», sans élaborer davantage.
«Cela dit, je reste prudent, car je n’ai pas encore toute l’information», a-t-il renchéri.