Cela faisait 25 ans que les cégeps n’avaient pas connu un tel engouement. Avec pareil vent en poupe, le réseau public anticipe que sa clientèle pourrait croître de 20 % d’ici dix ans. La question est maintenant de savoir s’il a les reins assez solides pour affronter un défi comme celui-là, ce dont plusieurs doutent, à commencer par les cégeps eux-mêmes.

Source: https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/824300/editorial-partir-mission

Cela faisait 25 ans que les cégeps n’avaient pas connu un tel engouement. Avec pareil vent en poupe, le réseau public anticipe que sa clientèle pourrait croître de 20 % d’ici dix ans. La question est maintenant de savoir s’il a les reins assez solides pour affronter un défi comme celui-là, ce dont plusieurs doutent, à commencer par les cégeps eux-mêmes.

Les 48 cégeps publics ont déjà du mal à faire le poids face aux quelque 70 collèges privés, souvent mieux nantis. Ils peinent aussi de plus en plus à retenir tous ces jeunes avides d’apprendre l’anglais en dépit du plafonnement des places disponibles dans les cégeps anglophones. Le commissaire à la langue française a recommandé que de nouvelles mesures soient prises pour assurer la prédominance du français dans l’enseignement supérieur.

C’est bien, mais cela ne mettra pas pour autant les cégeps publics à l’abri de potentiels désamours en série de la part des futurs cégépiens comme des professeurs.

Entendons-nous, personne ne roule sur l’or dans le milieu de l’enseignement supérieur. Reste qu’à près de 60 ans d’âge, le réseau des cégeps affiche une bien triste mine. Aile fermée, toit qui coule, classe modulaire temporaire mal isolée et laboratoire d’un autre temps sont autant de signes qui trahissent l’usure du temps.

Or, la volonté de Québec de donner un tour de vis aux restrictions budgétaires aura été fatale à une machine collégiale pourtant familière avec les économies de bouts de chandelle. Se sont ajoutés d’autres impératifs : achat de livres sur la glace, gel d’embauche, restriction des heures rémunérées, plafonnement des dépenses, gestion centralisée sans égard aux spécificités régionales. Déjà pleine, la cour maintenant déborde.

Une quarantaine de présidents de conseil d’administration de cégep ont pris le clavier pour expliquer que la somme de leurs fragilités est rendue telle que c’est la mission même de leurs établissements qui est aujourd’hui compromise. Dans leur lettre qui a fait grand bruit par la force du nombre, ces derniers détaillent des doléances que plusieurs observateurs avaient publiquement signalées sans que cela émeuve trop le gouvernement Legault.

En mai, par exemple, la vérificatrice générale s’était alarmée de la dégradation du parc immobilier des cégeps, le jugeant alors mal géré et sous-financé. Avec 65 % des bâtiments « en mauvais état » et des investissements prévus largement insuffisants pour renverser la tendance (et depuis revus tragiquement à la baisse), le réseau public collégial devait, selon elle, se préparer à des lendemains extrêmement difficiles. Elle lui prédisait non seulement des ruptures de services dans un futur proche, mais aussi potentiellement des fermetures pures et simples.

La vétusté inquiétante du réseau est le premier cheval de bataille qu’a choisi d’enfourcher Marie Montpetit en devenant la présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps. Elle a depuis ajouté la contestation du projet de loi no 74 visant à améliorer l’encadrement des étudiants étrangers.

La proposition du gouvernement Legault n’a pas que du mauvais, tant s’en faut. Il faut impérativement mettre un holà à l’industrie des « usines à diplômes », qui a connu des débordements proprement spectaculaires ces dernières années. Pensez seulement aux 12 000 étudiants étrangers admis au seul Collège supérieur de Montréal. C’est deux fois plus qu’à l’Université de Montréal et trois fois plus qu’à McGill, nous apprenait Le Journal de Montréal.

Reste qu’il y a aussi des bulles de savoir à préserver dans le processus, car ces clientèles étrangères qu’on s’arrache à l’échelle planétaire sont aussi des atouts vitaux pour les cégeps autant que pour les universités. Sur le plan financier, bien sûr, mais aussi et surtout sur le plan des connaissances, comme l’ont rappelé avec justesse ces dernières semaines dans Le Devoir des professeurs, des recteurs et des directeurs, jusqu’au scientifique en chef du Québec.

Il serait également temps que la Loi sur la liberté académique soit étendue aux cégeps. Livres à l’index, mots proscrits en classe, idéologies censurées, prises de position publiques découragées : les exemples d’attaques à la liberté d’enseignement au collégial s’additionnent et inquiètent. À force de marcher sur des oeufs, un professeur sur deux disait s’être censuré, dans un sondage de la Fédération de l’enseignement collégial dévoilé en juin dans Le Devoir. Cela ne peut pas durer.

Toutes ces voix au diapason semblent avoir du mal à se faire entendre de la ministre de l’Enseignement supérieur. Vrai, la rigueur budgétaire et la gestion des immigrants dépassent ses prérogatives. Reste que l’on comprend mal pourquoi Pascale Déry ne profite pas de ces turbulences pour partir à son tour en mission en agissant là où elle le peut, par petites touches, en protégeant ce qui s’attache à la qualité des savoirs, à l’autonomie des établissements et à la liberté d’enseignement.

En ces temps de grande frugalité, cette triade est la bouée essentielle dont les cégeps ont besoin pour garder la tête hors de l’eau.