Posted on 27/11/2024
Les inscriptions sont en chute libre et les abandons explosent, notamment à cause des conditions de travail.
Source: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2116065/formation-educatrice-enfance-cegep-etudiant-abandon
Recruter des éducatrices qualifiées dans les centres de la petite enfance (CPE) est de plus en plus difficile pour le gouvernement Legault. Malgré l'octroi de bourses, les inscriptions ont diminué dans le programme d'études au cégep et des données inédites, obtenues par Radio-Canada, montrent que le nombre d'abandons explose pendant la formation.
Au Cégep de Sainte-Foy, sur 82 étudiants inscrits à l'automne 2021 au DEC - Techniques d'éducation à l'enfance, seuls 13 ont obtenu leur diplôme à l'hiver 2024. Au Cégep de l'Outaouais, c'était 6 sur 40 et au Cégep de Valleyfield, 1 sur 25.
Certains étudiants terminent le programme en plus de trois ans, mais ça n'empêche que les enseignants constatent un nombre anormalement élevé d'abandons.
« On peut dire que c’est le tiers des étudiants qui restent et qui terminent la technique. Donc, si on a 60 inscriptions, c’est très rare qu’on ait plus de 20 étudiants qui vont terminer », explique la trésorière de l’Association des enseignantes et des enseignants en Techniques d'éducation à l'enfance (AEETEE) du Québec, Mélanie Rousseau.
Normalement, le taux de diplomation moyen des étudiants est de 64 %, indique la Fédération des cégeps.
Plusieurs cégeps précisent que les étudiants sont nombreux à terminer leur DEC en plus de trois ans. La moyenne est de 3,9 ans, selon la Fédération des cégeps.
Les abandons demeurent toutefois nombreux, même en prenant en compte ceux qui prolongent leurs études. Au Cégep Marie-Victorin, par exemple, neuf étudiants inscrits en 2021 devraient obtenir leur diplôme après quatre ans. Cela mènera le total de diplômés à 23 sur 51 inscrits au départ.
Au Cégep de la Gaspésie et des Îles, le programme est même suspendu « faute de demandes d’admission en nombre suffisant. »
Selon les données du ministère de la Famille, le nombre d’inscriptions au DEC est passé de 843, en 2013, à 546, en 2021, une baisse de 35 %.
La difficulté à attirer et à retenir des candidates au métier d'éducatrices s'ajoute aux nombreuses professionnelles qui changent de carrière en ce moment. Radio-Canada rapportait la semaine dernière que 10 000 ont quitté le métier depuis trois ans, surtout à cause du salaire et des conditions de travail.
Le diplôme d'études collégiales à la petite enfance est le moins bien rémunéré de tous les DEC. Après trois ans d'études, une éducatrice qualifiée gagne 21,60 $ de l'heure et plafonne à 30 $, après 11 ans d'expérience.
À l'Île-du-Prince-Édouard, le salaire d'entrée a été augmenté à 29 $ de l'heure. Les programmes de formation sont pleins et les CPE n'ont pas de mal à recruter des candidats.
Des négociations sont en cours entre Québec et les éducatrices. Aux dernières nouvelles, le gouvernement Legault proposait un salaire d'entrée de 24,34 $.
En 2021, le gouvernement s'est donné comme objectif de recruter 18 000 éducatrices d'ici 2026. Pour le moment, il en a ajouté 7490 en trois ans. Il faudrait donc en recruter plus du double dans les deux prochaines années.
Depuis 2022, le gouvernement du Québec offre une bourse de 1500 $ par session aux étudiantes, soit 9000 $ sur tout le cursus, mais ça n'a pas suffi à générer beaucoup d'attrait et de rétention.
De 2021 à 2023, le Service régional d'admission du Montréal métropolitain (SRAM) a enregistré une hausse de seulement 5 % des candidatures au DEC - Techniques d'éducation à l'enfance.
Gabriel Pigeon en est à sa troisième session au Collège Montmorency et changera d'orientation à la fin de l'année. Après son stage sur le terrain, il a été « dérangé » de voir qu'après trois ans d'études, il allait gagner à peine plus qu'une éducatrice non qualifiée (salaire d'entrée à 18,52 $ de l'heure).
À l'instar des éducatrices qui quittent leur emploi pour aller chercher de meilleurs salaires dans le service de garde scolaire, plusieurs étudiantes au DEC qui poursuivent la formation n'iront pas travailler dans un CPE.
Claudie Ricard, en deuxième année au Cégep de Saint-Jérôme, est « en réflexion » à l'idée de s'orienter vers une carrière d'enseignante. Les conditions de travail des éducatrices, « ça me fait me poser des questions », avoue-t-elle.
Daphney Thuot-Thivierge, en deuxième année au Cégep Édouard-Montpetit, envisage aussi d'aller à l’université pour devenir enseignante, parce que « les enseignants ont de meilleures conditions. »
« J'étais hyper motivée au départ », raconte Sandra Hermine Tsakem, en troisième année au Collège Montmorency, mais, « si les choses ne s'améliorent pas, je vais aller à l’université me spécialiser dans un autre domaine ».
L'an dernier, moins du tiers des éducatrices embauchées au Québec étaient qualifiées, ce qui pose un problème de qualité éducative, comme l'a souligné la vérificatrice générale dans son rapport, ce printemps.
Sandra Hermine Tsakem raconte que, « quand on fait les stages, on voit que la qualité n'est plus là » et « ça va mal ».
« C’est généralement quand on leur fait vivre leur premier stage » que les étudiantes vont abandonner, explique Mélanie Rousseau de l'Association des enseignantes et des enseignants en Techniques d'éducation à l'enfance.
« Ce n’est pas tant le salaire, mais plus les conditions de travail, donc la charge de travail qui va les décourager. »
Déjà « préoccupée » par les départs d'éducatrices en poste, la ministre de la Famille du Québec Suzanne Roy assure que la situation du DEC « fait partie de toutes les discussions, évidemment ».
« On a mis des initiatives intéressantes en place avec des étudiantes en Techniques d'éducation à l'enfance, des ambassadrices, qui vont dans les écoles secondaires pour faire connaître ce que c'est. »
La ministre rappelle que les négociations suivent leur cours entre les éducatrices et le gouvernement. Si rien n'est signé d'ici vendredi, des milliers d'éducatrices syndiquées feront la grève, le 29 novembre, en gardant les CPE fermés jusqu'à 10 h.