Source: Manquer à ses promesses en francisation | La Presse

Imaginez vous rendre dans un commerce après avoir vu passer une publicité alléchante. Tout est à 50 % ! Vous allez enfin pouvoir vous offrir ce que vous ne pouviez pas vous permettre. À votre arrivée, il y a foule. Une fois à la caisse, on vous dit qu’il n’y a plus de rabais. La publicité, c’était juste pour attirer des clients ! Et comme ils ont mordu à l’hameçon en grand nombre, on n’a plus besoin d’un tel incitatif. Ce sera désormais plein prix pour tous.

En abolissant l’aide financière incitative qu’il offrait aux immigrants inscrits à des cours de francisation à temps partiel, le gouvernement Legault agit comme un commerçant qui fait une publicité trompeuse. Après s’être lui-même engagé en 2019 à verser une allocation de 28 $ par jour pour encourager des Québécois d’adoption qui peinaient à trouver le temps et les moyens d’apprendre le français à s’y mettre, il rompt son engagement inopinément.

N’agit-il pas comme un vendeur qui fait une fausse promesse ?

Non, me répond le ministre Jean-François Roberge, dont c’était la première décision à titre de nouveau ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

« Je comprends votre allégorie de l’achat. Mais l’achat n’était pas complété. La transaction n’était pas faite. »

Il est vrai que les gens qui ont été avertis vendredi de ce changement de dernière minute étaient déjà inscrits à des cours de francisation, admet-il. « Mais les cours n’étaient pas commencés. »

« Si certains doivent se raviser, ils peuvent le faire et décider de ne pas suivre ces cours. »

Voilà un bien drôle de message que le ministre envoie à des Québécois d’adoption qui ont levé la main pour apprendre le français et ont déjà signé un contrat social avec l’État s’engageant à le faire.

Si la défense du français est une priorité pour le gouvernement Legault, pourquoi abolir une mesure qui a justement permis d’accroître la participation aux cours de français ?

Réponse du ministre : on n’a plus besoin de cette mesure incitative, nos listes d’attente débordent !

« L’objectif qui était à atteindre au moment où ces allocations ont été créées a été largement dépassé. Au départ, il fallait essayer d’attirer des gens dans des cours de francisation. On n’avait pas suffisamment de personnes qui s’inscrivaient dans des cours à temps partiel. C’est comme si l’offre de cours était plus grande que la demande. Maintenant, c’est le contraire. Il faut arriver à dégager des sommes pour augmenter l’offre de cours. »

Cette décision consternante s’inscrit dans une série tout aussi consternante en matière de francisation.

Après s’être vanté de mettre en place des mesures « historiques » pour donner à toutes les personnes immigrantes la possibilité d’apprendre le français, le gouvernement défait sa propre histoire en abolissant l’une de ces mesures sans crier gare.

Le ministre Roberge dit vouloir faire ainsi « le plus de francisation possible avec chaque dollar ». Ce qui ne l’empêche pas de dépenser 2,5 millions pour une campagne publicitaire au budget dit aussi « historique », où l’on rappelle que le français, ça s’apprend.

On dira que 28 $ par jour, ce n’est pas grand-chose. Mais avec la forte hausse du coût de la vie, cette somme minime peut faire toute la différence dans le budget serré d’une famille de nouveaux arrivants. Personne ne devrait avoir à choisir entre nourrir ses enfants à leur faim et apprendre le français.

Dans un récent rapport, le commissaire à la langue française Benoît Dubreuil notait que si l’allocation a permis d’accroître l’intérêt pour la participation aux cours, son versement a connu des retards et des ratés bureaucratiques. Cela a compliqué la vie de gens vulnérables, qui dépendent de l’aide financière pour payer le loyer et l’épicerie. Ne pouvant se permettre d’attendre une allocation qui ne vient pas, certains ont dû abandonner la francisation pour aller travailler.

L’une des recommandations du commissaire est d’améliorer les « mécanismes de communication » du ministère de l’Immigration afin de consolider l’adhésion des nouveaux arrivants au projet de Francisation Québec. Avec le courriel cavalier envoyé vendredi après-midi, ne fait-on pas exactement le contraire ? La moindre des choses n’aurait-elle pas été d’avertir les gens, en tenant compte du fait que certains comptaient sur cette somme pour joindre les deux bouts ?

« On aurait pu peut-être décaler dans le temps, concède le ministre. Mais en même temps, on aurait décalé aussi l’augmentation de l’offre. Plus vite on prend la décision, plus vite on peut réallouer des sommes pour augmenter l’offre de cours. »

Invoquer l’urgence d’augmenter l’offre de cours pour justifier cette annonce me paraît pour le moins étrange au moment même où le gouvernement caquiste a plafonné les budgets des centres de services scolaires en francisation, entraînant l’annulation en pleine rentrée de nombreux cours et l’abolition de postes d’enseignants.

Lisez notre chronique « Si la francisation était importante (bis) »

Je l’ai avoué au ministre Roberge : j’ai un peu de mal à comprendre la logique et je ne suis pas la seule.

Si M. Roberge abolit l’aide financière pour offrir plus de cours en francisation, pourquoi les budgets pour des programmes déjà existants dans le milieu scolaire n’ont-ils pas été ajustés ? Que propose-t-il pour les élèves en francisation du centre de services scolaire des Mille-Îles qui se sont butés à une porte close le jour de la rentrée scolaire ?

« C’est une situation différente. Dans le cas dont vous parlez, c’est vraiment dernière minute. Honnêtement, ça m’a mis mal à l’aise », dit-il, en jetant le blâme sur les centres de services scolaires qui ont dépensé davantage que le budget alloué.

« Heureusement, moi, j’arrive de l’autre côté en augmentant l’offre de cours. Au moins, c’est une mesure qui va dans la bonne direction », a-t-il ajouté, comme si les cours annulés dans le milieu de l’éducation n’avaient absolument rien à voir avec les budgets alloués par Francisation Québec et les décisions de son propre gouvernement.

Bref, on annule des cours d’un côté, mais on augmente l’offre de cours de l’autre. Le français, ça s’exige et ça s’apprend, nous dit une pub qui a coûté 2,5 millions en fonds publics. Mais s’il vous manque 28 $ pour faire votre épicerie (en français SVP), veuillez laisser tomber. Le français, c’est important, mais pas si important.