Plus de 16 000 élèves sont admissibles à l’éducation en anglais en Outaouais, mais le tiers des familles ont choisi de se tourner malgré tout vers l’école francophone. À l’heure où la protection du français fait abondamment les manchettes, plusieurs l’ont fait par conviction et pour «ouvrir les horizons».

Source: https://www.ledroit.com/actualites/education/2024/09/17/admissibles-a-lecole-anglophone-des-milliers-de-familles-choisissent-le-francais-NAKW53MQERA5PO26GLHQFUOVHE/

C’est le cas de Vanessa Alfaro et Bryce Delaney, deux Gatinois qui ont choisi la langue de Molière pour le parcours scolaire de leurs trois enfants, même si la loi leur permettait de prendre l’avenue anglophone.

Elle est originaire du Pérou – elle est arrivée au Canada il y a 15 ans – alors que lui est anglophone et est né puis a grandi à Québec, faisant tout son parcours scolaire dans la langue de Shakespeare, du préscolaire jusqu’à l’université.

Quand les enfants sont entrés à l’école, la question ne se posait pas. C’était le français qui primerait pour l’éducation en classe.

«Mon mari savait à quel point il avait du mal à s’exprimer en français et voulait s’assurer que tous nos enfants soient parfaitement bilingues. Et moi, je ne suis pas francophone, mais je fais des efforts, raconte Mme Alfaro. L’anglais fait aussi partie de la vie de mes enfants, mais tout ce qui est à l’extérieur de la maison, comme l’école, c’est uniquement en français, parce que comme famille anglophone à la base, on ne les expose pas à leur identité québécoise.»

Deux langues qui peuvent cohabiter

Selon elle, la «dualité» est un élément qui fait partie intégrante de la vie quotidienne des enfants, qui habitent et se sont créés un cercle social dans le quartier de l’école des Cépages.

En Outaouais, selon le dernier recensement de Statistique Canada, 16 380 enfants d’âge scolaire étaient admissibles à l’instruction en anglais en 2021, dont 10 810 à Gatineau, 880 à Chelsea et 675 à La Pêche. Du nombre, un peu plus de 5100 (31 %) n’ont jamais fréquenté une école de langue anglaise.

Dans le foyer des Delaney-Alfaro, on se tourne davantage par réflexe vers l’anglais, mais les enfants conversent aussi entre eux en français, tout comme lorsque des amis sont présents.

«On n’a absolument pas de regrets [d’avoir fait ce choix d’école], car la grammaire en français est plus difficile et l’anglais fait déjà partie de notre vie. Les enfants auront de meilleures opportunités d’avenir en étant parfaitement bilingues, explique la mère. On est un pays bilingue, après tout, mais ils sont Québécois, ça fait partie de leur identité. On n’a pas à choisir, l’un n’empêche pas l’autre.»

L’opportunité d’être trilingue

L’Ontarienne Anna Doddridge, qui s’est établie à Gatineau, pouvait elle aussi inscrire sa fille sur les bancs d’une école anglophone. D’autant plus que le papa de la fillette est aussi anglophone et est natif du Mexique. La famille a habité dans d’autres pays du globe durant deux décennies, y compris la Corée du Sud, avant de s’établir dans la région.

«Quand on a pris la décision d’habiter au Canada, mon frère habite lui aussi à Gatineau et est anglophone, il m’avait dit que la vie est mieux ici. Cela a été un peu difficile, car le père de ma fille ne parle pas du tout français, mais il était convaincu que serait beaucoup mieux de donner l’opportunité d’être trilingue», mentionne-t-elle.

À la maison, ça se passe en anglais; alors qu’à l’école et avec les amis du coin, on s’exprime en français. Avec papa, on communique aussi en espagnol.

«Elle-même me corrige quand je parle en français», lance Mme Doddridge en riant.

Sa fille fréquente l’école du Lac-des-Fées où elle s’est créé de belles amitiés au fil du temps.

«Parler une autre langue, c’est quelque chose que je perçois comme très important, et ce, pas juste au Québec ou au Canada. C’est de s’ouvrir d’autres portes, même si pour moi ça peut être plus difficile, par exemple quand je dois parler aux enseignants et l’aider dans ses devoirs. Mais on fait d’une pierre deux coups.»

—  Anna Doddridge

Anna Doddridge admet avoir choisi ce quartier spécifique du secteur Hull parce que l’établissement scolaire jouissait d’une bonne réputation.

Chose certaine, la mère de famille dit être fière du choix qu’elle a fait de prioriser le français pour la vie sociale de sa fille. Un choix qui a aussi été bénéfique pour elle-même.

«Elle est même allée en centre de la petite enfance [CPE] en français. Elle commence à avoir un beau mélange des deux langues. C’est même un peu triste [rires], car quand elle joue avec des amis, elle chante des chansons qui ne sont pas celles que j’ai chantées avec mes amis. Elle est dans une culture différente, raconte-t-elle. Mais je ne regrette rien du choix qu’on a fait. Elle lit aussi des livres en anglais ou en espagnol.»

Selon elle, «pour être de bons membres d’une communauté», les anglophones doivent mieux s’intégrer au chapitre de la langue française.

Avec 31 % d’élèves admissibles à l’école anglophone qui n’ont jamais fréquenté ce réseau, l’Outaouais a un taux supérieur à la moyenne québécoise à ce chapitre (24 %).

Le facteur de la distance

Analyste à Statistique Canada, Étienne Lemyre soutient que le contexte frontalier de l’Outaouais teinte d’une certaine façon les données de la région quant au nombre d’enfants admissibles à l’école anglophone compte tenu de la migration interprovinciale. Des milliers d’Ontariens – particulièrement d’Ottawa – ont choisi depuis la pandémie de s’établir du côté québécois de la rivière.

À son avis, le facteur de la distance joue aussi un rôle dans la situation, étant donné qu’on bien davantage d’écoles francophones qu’anglophones à proximité de son domicile en sol québécois. La majorité versus la minorité linguistique, en fait.

«Dans les Maritimes, à titre d’exemple, il y a des enfants qui vivent à moins de deux kilomètres à la fois d’une école anglophone et d’une école francophone, mais si l’école anglophone est plus proche, il y a davantage de chances qu’ils soient scolarisés en anglais, explique-t-il. Il faut voir si le même facteur [dans la situation inverse] joue un rôle au Québec. On a posé la question sur les motifs dans la dernière enquête. Il faudra le confirmer, mais c’est plausible de croire que oui.»

Pour imager la situation, il cite en exemple le fait que dans de petites municipalités de la région – Namur et Déléage, entre autres –, la totalité ou presque des élèves admissibles au réseau anglophone étaient scolarisés dans cette langue, contrairement à Gatineau, où c’est plus partagé comme portrait.

Selon Statistique Canada, un peu plus de 105 000 personnes dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Gatineau avaient l’anglais comme langue parlée à la maison, alors que pour près de 64 000 d’entre eux, c’était la première langue officielle parlée de façon générale.

Sur le territoire de l’Outaouais, 7100 élèves fréquentent cette année les écoles de la Commission scolaire Western Québec (CSWQ), soit le réseau anglophone. Il s’agit d’un recul d’environ 2 % par rapport à l’an passé.